J’ai eu l’idée de cet article en mars 2025, soit 5 ans après le début du premier confinement. Certains gardent des souvenirs plus ou moins bons de cette période, entre énormément de travail pour les soignants et autres métiers de « première nécessité » et un temps un peu étrange, un entre-deux à la maison qui a permis à un grand nombre de personnes de se poser et de faire le bilan de leur vie. Je dis cela d’expérience personnelle, ayant vu de nombreuses connaissances autour de moi changer de métier ou entamer des formations dans les 2 à 3 années post-confinement.

Pour ma part parce que l’immobilier m’intéresse, je me souviens de l’essor du télétravail et de la promesse d’une révolution totale de l’emploi. Par la même occasion, une promesse de changement et de mutation dans le secteur de l’immobilier privé et de bureau.

Car si les grandes métropoles françaises captent l’essentiel des activités et du travail, au détriment des zones rurales, l’essor du télétravail peut provoquer l’effet inverse : de la grande ville vers les petites villes et les villages.

C’était la promesse, ou alors le pari de certains. À l’époque j’avoue avoir été septique, mais aussi avoir espéré un tel changement. Outre le fait que ce soit intéressant pour l’ensemble des territoires, cela permettait aussi d’imaginer investir dans des villes peu chères et arriver à louer sans souci aux nouveaux arrivants des grandes métropoles. Bref, de belles opportunités immobilières en perspective, surtout quand on voit le prix au mètre carré des grandes villes.

Mais qu’en est-il vraiment ?

Je vous propose d’y jeter un œil 5 ans après, afin d’en dresser un bilan. Le télétravail crée-t-il une nouvelle logique d’investissement immobilier ?

Le boom du télétravail : du marginal au courant dominant (2019-2023)

Avant la crise du Covid, le télétravail en France relevait encore de l’exception. En 2019, seuls 4 % des salariés y avaient recours de manière régulière, principalement des cadres supérieurs dans des secteurs comme la finance ou les technologies de l’information. Pour la majorité des entreprises, cette pratique n’était tout simplement pas envisageable, par tradition managériale ou parce que l’activité ne s’y prêtait pas. Résultat : la France figurait alors parmi les pays d’Europe les moins ouverts au travail à distance.

Puis vint 2020. Le premier confinement a tout bouleversé. Du jour au lendemain, des millions de salariés ont dû s’improviser télétravailleurs depuis leur salon, leur cuisine ou une chambre transformée à la hâte en bureau. Près de 3 salariés du privé sur 10 étaient en télétravail fin mars 2020, au pic du premier confinement d'après l'INSEE.

Et la tendance s’est poursuivie : à l’automne 2020, puis au printemps 2021, les nouveaux confinements ont ancré cette habitude. À ces moments-là, on comptait entre 27 et 28 % de télétravailleurs. En novembre 2020, 44 % d’entre eux travaillaient même à domicile à temps plein (cinq jours sur cinq). Ce chiffre est ensuite redescendu à 35 % en avril 2021, puis à seulement 5 % en mars 2022, après la levée des restrictions sanitaires.

Ce test grandeur nature a permis aux employeurs comme aux employés de prendre conscience des forces et faiblesses du télétravail. D’un côté : gain de temps, autonomie, meilleure conciliation vie pro/perso. De l’autre : isolement, difficultés à déconnecter, perte de lien social.

À partir de l’été 2021, le retour progressif au bureau s’est opéré… mais sans effacer les nouvelles habitudes. Le télétravail à temps plein a diminué, mais le modèle hybride s’est imposé. Fin 2021, 22 % des actifs travaillaient encore à distance au moins un jour par semaine. Depuis, ce chiffre s’est stabilisé autour de 20 %, selon les dernières données disponibles. France Stratégie indiquait ainsi que 19 % des salariés ont télétravaillé régulièrement en 2023. Si l’on inclut le télétravail occasionnel, ce taux grimpe même à 26 %, contre seulement 9 % en 2019.

On est donc très loin de la situation pré-Covid. Le télétravail s’est banalisé, porté par la généralisation des outils numériques (visioconférences par Zoom, Teams, VPN, etc...) et les accords d’entreprise. Aujourd’hui, le modèle-type pour les métiers compatibles tourne autour de deux jours par semaine à domicile.

Mais attention, cette évolution reste très inégalitaire. Le télétravail concerne surtout les cadres et professions intellectuelles : ils représentaient 61 % des télétravailleurs en 2023 (contre 45 % en 2021).

Même constat géographique : en Île-de-France, près de la moitié des emplois pourraient théoriquement être télétravaillés. En dehors de la région parisienne, cette proportion chute, tout comme le recours réel au travail à distance : 22 % des salariés dans les grandes agglomérations (plus de 200 000 habitants), contre moins de 13 % dans les communes plus petites.

Alors oui, cet article a commencé avec beaucoup de chiffres mais il fallait bien poser les bases pour comprendre l’ampleur du changement.

Maintenant que le décor est planté, penchons-nous sur les effets concrets : le télétravail a-t-il vraiment modifié la carte résidentielle en France ? A-t-on assisté à un exode urbain ? Quelles conséquences sur l’immobilier et les dynamiques territoriales ?

L’“exode urbain” a-t-il eu lieu ?

On a beaucoup parlé d’« exode urbain » après le Covid, comme si des millions de citadins étaient soudain partis vivre à la campagne. En réalité, ce mouvement a été bien plus nuancé. Il n’y a pas eu de fuite massive des grandes villes, mais plutôt une redistribution discrète, portée par l’essor du télétravail.

Ce que le télétravail a rendu possible, c’est un nouveau mode de vie. Des gens ont commencé à organiser leur semaine autrement : quelques jours au bureau en ville, le reste à la campagne ou en bord de mer. On a vu émerger le profil du « bi-résident », mi-citadins, mi-ruraux. Certains ont même inventé le concept de « résidence semi-principale » : une maison secondaire où l’on passe une bonne partie de l’année, tout en gardant une résidence en ville.

Dès 2020, la tendance est devenue visible. Les agents immobiliers ont vu exploser la demande pour les maisons avec jardin. Sur les sites d’annonces, les recherches se sont recentrées sur les villes moyennes, les zones rurales et les régions touristiques. Fini le fantasme du centre-ville, place à l’appel du grand air.

Certaines zones en ont clairement profité. Les couronnes périurbaines autour des grandes villes, par exemple, ont attiré des familles qui, libérées de la contrainte des trajets quotidiens, ont pu s’installer plus loin pour avoir plus d’espace. Des villes comme Orléans, Tours ou Le Mans, bien reliées en TGV, ont vu arriver une nouvelle population en quête de qualité de vie et de prix plus accessibles. Sur le littoral aussi, le mouvement a été très net. En Bretagne, par exemple, la part des acheteurs venant d’Île-de-France a bondi après 2020. Même certains villages ruraux ont tiré leur épingle du jeu, à condition d’être bien connectés, avec internet rapide, des écoles, quelques commerces et une ville à proximité.

Mais attention à ne pas tout idéaliser. Si beaucoup se réjouissent de leur nouveau cadre de vie, certains déchantent. Isolement, manque de médecins, peu d’activités culturelles, temps de trajet sous-estimé… Tout le monde ne trouve pas son compte. Et surtout, ce mouvement concerne surtout une population très précise : cadres supérieurs, en couple, avec un bon revenu et la possibilité de télétravailler. C’est une élite mobile, déjà privilégiée, qui a eu les moyens de changer de vie.

Ce déplacement des populations a d’ailleurs eu des effets parfois pervers. Dans certaines zones touristiques, les logements se raréfient pour les habitants locaux. Des propriétaires préfèrent louer à la semaine à des télétravailleurs de passage sur Airbnb plutôt qu’à l’année à des résidents permanents. C’est le phénomène du « workation » : on vient bosser quelques semaines dans un cadre agréable… puis on repart. Résultat : moins d’offres de location longue durée, loyers en hausse, habitants en difficulté pour se loger.

Au fond, le télétravail n’a pas transformé l’ensemble du paysage immobilier français. Il a surtout accentué les écarts entre territoires. Les villes déjà attractives, les zones touristiques et les campagnes bien situées en sortent gagnantes. Les autres, petites villes dépeuplées, zones enclavées, campagnes oubliées, restent à l’écart.

Ce n’est donc pas la grande ruée vers la campagne que certains avaient annoncée. C’est une évolution plus subtile, plus ciblée, qui a profité à ceux qui savaient déjà où aller. Et pour ceux qui y avaient investi avant 2020, l’envolée des prix a certainement été une bonne surprise.

On va maintenant regarder de plus près comment les prix ont évolué dans ces territoires.

Villes moyennes et zones littorales plébiscitées : la revanche de la qualité de vie

Même si le fameux « exode urbain » n’a pas transformé le paysage français du jour au lendemain, certains territoires ont clairement tiré leur épingle du jeu grâce au télétravail. Ce sont les villes moyennes, les bords de mer, la montagne ou encore les campagnes accueillantes mais bien reliées. Bref, tous ces endroits où il fait bon vivre sans pour autant être coupé du reste du monde.

Le télétravail a permis à beaucoup de réinventer leur mode de vie. On a vu naître une nouvelle routine : passer quelques jours au bureau, puis s’échapper dans une petite maison au calme pour le reste de la semaine. C’est comme ça que le concept de « résidence semi-principale » a vu le jour. Plutôt que de quitter la ville complètement, beaucoup ont simplement décidé de l’alléger en gardant un petit logement en centre-ville pour les jours de présence obligatoire et s’installer ailleurs, dans un endroit plus paisible, dès qu’ils le peuvent.

Les chiffres le confirment : en 2021, une étude de Meilleurs Agents révélait que 17 % des Français sans résidence secondaire envisageaient d’en acquérir une, suite à la pandémie. Parmi les télétravailleurs, 4 sur 10 déclaraient vouloir y passer la moitié de l’année. Autrement dit, ces maisons devenaient bien plus que des lieux de vacances, elles devenaient des lieux de vie à part entière.

Dès l’été 2020, les professionnels de l’immobilier ont vu la tendance s’emballer : la demande pour des maisons avec jardin a explosé, surtout en dehors des grandes villes. Sur les plateformes d’annonces, les recherches ont grimpé pour des zones jusqu’alors peu visibles : petites villes, zones rurales, campagnes bien desservies.

Les villes de taille moyenne bien connectées ont aussi profité de cette vague. Orléans, Tours, Le Mans, Reims, Blois… Toutes ces villes à une ou deux heures de Paris en TGV ont vu arriver une nouvelle population, souvent francilienne, en quête de compromis entre qualité de vie et accessibilité. À Tours, par exemple, les prix ont bondi de +17,5 % en 2021, preuve d’une forte pression sur le marché.

Et puis il y a eu l’appel du large. Beaucoup ont vu dans le télétravail une occasion rêvée de vivre près de la mer ou à la montagne. Des régions comme la Bretagne, la Normandie ou la côte atlantique ont séduit de nombreux actifs. En Bretagne, par exemple, la part des acheteurs venant d’Île-de-France est passée de 9 % à plus de 30 % sur le littoral après 2020. Un véritable basculement.

Même certaines campagnes ont su capter cette demande. À condition d’être bien connectées (avec la fibre, des écoles, quelques commerces et une ville pas trop loin), certains villages ont attiré une nouvelle clientèle en quête de calme mais pas d’isolement total.

Mais ce phénomène a ses limites. Derrière les récits enthousiastes de néo-ruraux heureux, il y a aussi des histoires moins roses : l’intégration dans la vie locale n’est pas toujours facile, certains se sentent isolés en passant de la capitale à la province, les trajets sont parfois plus pénibles qu’anticipé et l’offre médicale ou culturelle laisse à désirer.

Surtout, les profils de ces nouveaux arrivants sont assez homogènes. Il s’agit le plus souvent de cadres supérieurs, en couple, bien installés professionnellement et financièrement, capables de s’acheter une maison à la campagne tout en gardant un pied à Paris, Bordeaux ou Lyon. On est loin d’un phénomène global.

Et puis, cette nouvelle mobilité a parfois un prix pour les habitants des territoires concernés. Dans les zones touristiques notamment, la tension sur le marché immobilier s’est accentuée. Comme dit plus tot, de plus en plus de propriétaires choisissent de louer à la semaine à des télétravailleurs de passage plutôt qu’à l’année à des habitants locaux. C’est le phénomène du « workation » : on loue une maison quelques semaines pour allier boulot et dépaysement puis on repart. Résultat : le nombre de logements disponibles à l’année baisse, les loyers montent et les résidents à revenus modestes peinent à se loger.

Ce que l’on observe, en réalité, c’est un renforcement des inégalités territoriales. Le télétravail a surtout profité aux zones qui étaient déjà attractives : jolies, dynamiques, bien desservies. Les campagnes plus reculées, les petites villes en difficulté, les territoires oubliés n’en ont pas vraiment bénéficié.

Donc non, le télétravail n’a pas révolutionné toute la carte du logement en France. Il a plutôt accentué des tendances déjà à l’œuvre. Ceux qui avaient anticipé le mouvement et investi dans les bons endroits ont certainement vu leurs biens prendre de la valeur. Pour les autres, l’effet a été beaucoup plus discret.

Voyons maintenant comment tout cela s’est traduit dans l’évolution concrète des prix immobiliers, territoire par territoire.

Effets sur les prix immobiliers : hausse en province, accalmie dans les grandes villes ?

Depuis 2020, le télétravail a clairement bousculé les règles du jeu sur le marché immobilier. En modifiant les habitudes et en redistribuant les cartes géographiques, il a participé à redynamiser certaines zones jusque-là un peu en retrait. Résultat : de nombreuses villes moyennes, certaines communes rurales bien placées et les littoraux ont vu leurs prix grimper en flèche, tandis que les grandes métropoles ont connu un vrai coup de frein.

Dès 2021, on a vu des hausses spectaculaires dans des villes comme Tours (+17,5 %), Angers (+17,4 %) ou même Brest (+14 %), longtemps restées stables. Ces villes ont attiré une nouvelle population, souvent venue d’Île-de-France, séduite par un meilleur cadre de vie et la possibilité de télétravailler. Limoges, Poitiers, Besançon ou Nancy ont elles aussi vu leur marché s’animer, avec des hausses entre 8 et 10 % par an à cette période. Il ne s’agit pas d’une révolution, mais d’une vraie accélération d’un mouvement déjà présent. Ce sont surtout les maisons, les appartements spacieux, avec balcon ou jardin, qui ont été prisés, en écho aux envies nées pendant les confinements.

En parallèle, les zones littorales ont connu un emballement tout aussi impressionnant. Sur les côtes bretonnes et normandes, les maisons ont vu leurs prix s’envoler, parfois de 15 à 25 % en deux ans. À Honfleur, par exemple, on parle de +20 %. Des stations comme La Baule ou Barfleur sont devenues des refuges de télétravail, notamment pour des Parisiens capables d’y passer plusieurs jours par semaine. Sur la côte aquitaine, Le Touquet a séduit une clientèle haut de gamme, prête à investir de gros montants dans une résidence secondaire, ou semi-principale, car beaucoup ne voulaient plus seulement un pied-à-terre pour les vacances, mais un lieu de vie régulier. C’est ce changement d’usage qui a fait grimper les prix : en vendant un appartement à Paris, il devenait possible d’acheter une maison avec jardin en bord de mer. De quoi déséquilibrer complètement le rapport de force avec les acheteurs locaux.

Les notaires ont d’ailleurs confirmé ce rééquilibrage régional : entre 2020 et 2022, des régions comme la Bretagne, la Normandie, les Pays de la Loire ou la Nouvelle-Aquitaine ont vu leurs prix grimper plus vite que la moyenne nationale. À l’inverse, l’Île-de-France, longtemps moteur du marché, s’est mise à plafonner, voire à reculer. À elle seule, la Bretagne a pris 14 % en deux ans, contre seulement 4 % pour la région parisienne. Ce fameux « bonus Paris » s’est donc amenuisé.

La capitale, justement, mérite un focus. Après plus de dix ans de hausse continue, Paris a commencé à fléchir dès 2021. Le mètre carré, qui stagnait autour de 10 500 €, a commencé à baisser doucement mais sûrement. Trois ans plus tard, on parle d’une perte d’environ 1 500 €/m². C’est une vraie correction, du jamais vu depuis les années 1990. Certes, la hausse des taux d’intérêt y est pour beaucoup, mais le télétravail a aussi joué : certains acheteurs ont quitté Paris, d’autres y ont moins vu un passage obligé. Les quartiers périphériques, moins cotés, ont été les plus touchés, parfois jusqu’à -10 % en trois ans, tandis que les beaux quartiers du centre ont mieux résisté, soutenus par une clientèle fortunée, voire internationale, qui a vu dans cette baisse une opportunité.

Dans les autres grandes métropoles, la tendance a été plus nuancée. Lyon, par exemple, qui avait connu une hausse spectaculaire jusqu’en 2020, a vu ses prix ralentir, voire baisser dans certains arrondissements. Bordeaux, qui avait flambé entre 2015 et 2018, a fini par reculer d’environ 5 % depuis 2019. Toulouse a encore progressé jusqu’en 2022 avant de stagner. À Lille, après une belle hausse en 2019, c’est la stagnation. Partout, les maisons ou appartements sans extérieur sont devenus plus difficiles à vendre. Et quand les prix ont continué à grimper, c’était souvent dans les zones périphériques plus calmes, mieux adaptées au télétravail.

Le vrai basculement, c’est que les grandes villes ont cessé d’être les seules à tirer le marché vers le haut. En 2021, huit des dix plus fortes hausses en France se trouvaient dans des villes moyennes situées hors Île-de-France.

Mais attention : tout cela ne s’explique pas uniquement par le télétravail. D’autres facteurs ont contribué à refroidir le marché à partir de 2022. Les taux ont grimpé, l’inflation est revenue, la prudence s’est installée. En 2023, on est entré dans un cycle de ralentissement. Même les villes qui avaient le plus flambé, comme Vannes, Anglet ou Arcachon, ont vu la demande baisser, les prix plafonner. Le crédit coûte cher et les prix élevés ont fini par refroidir de nombreux acheteurs.

Malgré ce coup de frein, la carte de l’immobilier français est différente aujourd’hui. L’écart entre Paris et la province s’est resserré. Reste à savoir si ces nouvelles dynamiques vont tenir dans la durée. Certaines villes moyennes pourraient continuer à attirer, surtout si elles gagnent en population et en emplois. Mais si les nouveaux arrivants ne restent pas, ou si la croissance locale ne suit pas, la demande pourrait retomber.

Et les grandes villes dans tout ça ? Elles restent solides. Le foncier y est rare, les emplois concentrés et l’attrait international toujours bien présent. D’ailleurs, fin 2023, on a commencé à voir revenir des acheteurs à Paris, tentés par des prix plus raisonnables.

En résumé, le télétravail a bel et bien changé la donne, mais pas de manière uniforme. Il a ouvert des perspectives intéressantes à certains territoires, freiné la pression ailleurs et permis à quelques investisseurs malins de tirer leur épingle du jeu. À condition, bien sûr, de ne pas oublier que le télétravailleur mobile reste une partie minoritaire du marché.

Et l’immobilier de bureau dans tout ça ?

Depuis le COVID, parallèlement au « tout télétravail » et au « changement profond » des zones géographiques d’habitat, il y avait une autre petite musique : l’immobilier de bureau est mort. Et il est toujours intéressant de voir comment la peur de perdre fait bien plus mal que le fait de gagner.

Laissez-moi, pour introduire cette dernière partie, vous parler de quelqu'un de mon entourage qui est venue à un séminaire Créat et a donc une certaine connaissance des investissements divers et variés. Je n’ai jamais été personnellement très branché SCPI, mais lui, si. Or, entre la claque prise par la SCPI suite à l’augmentation des taux de crédit immobilier et la diminution du prix des biens (voir article SCPI), ainsi que la petite musique ambiante sur l’immobilier de bureau qui ne servait désormais à rien pour les entreprises, grâce ou à cause du télétravail, il n’était pas bien. Il est devenu très inquiet. Pourtant, il sait très bien qu’il y a des phases, des hausses, des baisses, mais cette idée d’inutilité des bureaux et donc de ses investissements, l’a profondément atteint (la majorité des SCPI sont investies dans l’immobilier de bureau, même si certaines se lancent ces dernières années sur d’autres thématiques, comme la santé ou les entrepôts). Donc, c’est en pensant particulièrement à lui que nous allons voir ce qu’il en est réellement, cinq ans après.

Revenons un peu en arrière. Dès 2020, en plein cœur de la crise sanitaire, le télétravail a commencé à faire sentir ses effets sur l’immobilier de bureaux. À La Défense, les tours autrefois animées se sont vidées. Les open spaces pensés pour accueillir tous les salariés en même temps n’étaient plus occupés qu’à 20 ou 30 %. Ce changement brutal a vite poussé les entreprises à s’interroger : pourquoi continuer à payer pour autant d’espace, alors qu’une partie reste vide une bonne partie de la semaine ?

Très vite, les décisions ont suivi. Certaines sociétés n’ont pas renouvelé leurs baux, d’autres ont regroupé leurs équipes sur un seul site ou mis en pause leurs projets d’agrandissement. Pour beaucoup, c’était une opportunité de faire des économies sans nuire au bon fonctionnement de l’entreprise. Les bureaux mal situés, vieux ou peu attractifs, ont été les premiers à être abandonnés, surtout ceux en périphérie pas toujours faciles d’accès, où les salariés n’avaient plus vraiment envie de se rendre.

À l’inverse, certaines adresses ont su tirer leur épingle du jeu. Les entreprises ont préféré garder leurs bureaux dans les centres-villes, bien desservis, avec commerces et transports à proximité. Pour attirer leurs salariés sur place, il ne s’agissait plus seulement de fournir un espace de travail, mais une vraie « expérience ». L’idée, c’est que si on demande aux gens de venir, autant leur offrir un cadre agréable, motivant. Ce recentrage a accentué le contraste : les zones centrales ont tenu bon, pendant que certaines zones périphériques déjà fragiles avant la crise ont décroché davantage.

Les chiffres confirment cette évolution. En Île-de-France, près de 8 % des bureaux étaient inoccupés fin 2023, ce qui représente près de 5 millions de mètres carrés vides. Et encore, cette vacance est inégalement répartie. Paris intra-muros s’en sort mieux, avec environ 5 % de bureaux vides, alors que dans la Petite Couronne, on dépasse les 15 %. La Grande Couronne, déjà en difficulté avant le Covid, stagne à 11 ou 12 %. Même La Défense, longtemps considérée comme un lieu stratégique pour les sièges sociaux, affiche un taux de vacance élevé.

Dans les métropoles régionales, la situation est bien différente. Nantes, Rennes, Toulouse, Marseille ou Lyon résistent bien, avec des taux de vacance souvent sous les 5 %. À Lille, on est un peu au-dessus, mais cela reste raisonnable. Hors Île-de-France, le choc du télétravail a été moins brutal, parfois parce que les entreprises ont conservé des modes de fonctionnement plus classiques, parfois parce que la dynamique locale de l’emploi a compensé les m² devenus inutiles.

Cela dit, la baisse de la demande se fait sentir partout. Depuis 2020, la surface totale de bureaux loués ou vendus a chuté, sans retrouver ses niveaux d’avant-crise. L’Île-de-France reste la zone la plus touchée. On y trouve la moitié des mètres carrés vacants du pays, alors même que la région souffre d’une pénurie de logements. Cette contradiction saute aux yeux : des millions de mètres carrés de bureaux vides d’un côté, des milliers de personnes cherchant à se loger de l’autre.

Les pouvoirs publics ont tenté de réagir. En mars 2023, un plan national a été lancé pour convertir une partie de ces bureaux en logements. L’objectif est ambitieux : transformer 25 000 bureaux à court terme en Île-de-France et jusqu’à 70 000 à long terme. Des groupes de travail ont été mis en place pour identifier les solutions techniques et les moyens de financement. Mais sur le terrain, les choses sont loin d’être simples. Transformer un bureau en logement ne va pas de soi. Beaucoup d’immeubles, surtout ceux construits dans les années 70 et 80, ne s’y prêtent pas : peu de fenêtres, amiante, agencement compliqué… Parfois, il faudrait tout raser et reconstruire, ce qui limite l’intérêt écologique ou financier de l’opération. En plus, les normes pour un logement sont bien plus strictes que pour un bureau : sécurité, accessibilité, insonorisation, ventilation… Autant d’obstacles techniques et coûteux.

Face à cette difficulté, une autre solution se développe : repenser les usages. Moins d’entreprises ? D’accord, mais plus de coworkings, de télécentres, de lieux partagés. Depuis 2020, on voit fleurir ces nouveaux espaces dans d’anciens bureaux ou commerces vacants. Ils répondent à une vraie demande : permettre aux télétravailleurs de ne pas rester seuls chez eux, tout en restant près de leur domicile.

Les entreprises, elles aussi, changent de modèle. Le bureau attitré laisse place au flex office : on s’installe là où il y a de la place, les surfaces sont réduites et les bureaux mieux optimisés. Certains groupes, comme Stellantis, ont même divisé leurs espaces par deux. D’autres ont fermé leurs antennes pour rapatrier les équipes sur un site principal, plus petit mais mieux adapté aux nouveaux usages.

Cette transformation a une autre conséquence : elle renforce l’attractivité des lieux centraux. Un salarié accepte plus volontiers de se déplacer si son bureau est agréable, bien situé et entouré de restaurants ou de services. Les entreprises l’ont compris : les mètres carrés en centre-ville restent précieux.

Même les transports en commun et les commerces ressentent ce changement. En Île-de-France, la fréquentation n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant Covid. Les jours les plus chargés sont devenus le mardi et le jeudi, tandis que le lundi et le vendredi sont souvent plus calmes. Cette nouvelle organisation a aussi un effet sur la valeur des bureaux : un local vide trois jours sur cinq et mal desservi perd en attractivité, alors qu’un emplacement central conserve sa valeur. Les commerces situés dans les quartiers d’affaires en souffrent également, avec une activité plus faible les jours de télétravail.

En résumé, le télétravail n’a pas sonné l’hallali de l’immobilier de bureau, mais l’a changé en profondeur, telle une lame de fond invisible. Désormais, adieu les grands bureaux en périphérie, dans des quartiers éloignés et peu desservis. Et bonjour les bureaux bien placés, mieux finis, faciles d’accès et plus petits. L’immobilier de bureau n’est donc pas mort, mais subit un recentrage, un peu comme l’immobilier « normal » somme toute. Pour l’immobilier locatif, si vous trouvez un appartement dans une jolie résidence calme, avec une belle terrasse, une ou deux places de parking et dans un quartier sympa, vous ne risquez finalement pas trop de vacance locative ou de difficulté à la revente.

Par contre, un bien moyen, face à une ligne haute tension, collé à un cimetière, dans un quartier où la « mixité sociale » est très importante, n’est pas la meilleure idée. (Pour les non-Français, ce terme est très en vogue chez nos journalistes et politiciens. En pratique, cela signifie souvent une foule d’« herboristes » au pied des immeubles, attendant sur un fauteuil leur client, mais aussi l’apparition régulière de peinture rupestre sous forme de tags dans les halls et murs d’immeubles, ou le remake d’Armageddon lors de grands événements sportifs, fête nationale, etc.)

En effet, un tel bien aura du mal à trouver un locataire si le marché n’est pas totalement saturé et en cas de baisse de l’immobilier, ce sont ces biens qui perdent le plus de valeur. Il en est donc finalement de même pour l’immobilier de bureau.

Pour finir cette partie, je dirais donc à ce collègue que j’espère que ses SCPI ont choisi les meilleurs bureaux en centre-ville. Ainsi, son investissement n’aura pas été vain !

Conclusion : un impact diffus mais durable sur la géographie immobilière

En conclusion de cet article que j’ai voulu volontairement détaillé, afin d’avoir une vue la plus générale et objective possible, j’aimerais répondre à la question initiale : « Le télétravail crée-t-il une nouvelle logique d’investissement immobilier ? »

Et je crois que l’on peut dire oui et non. Je m’explique.

Oui, car il y a un effet visible. Il est plutôt faible et à mettre en relation avec les autres facteurs (dont la hausse des taux immobiliers). N’aurait-il pas été plus important sans cette hausse, qui a automatiquement limité la capacité d’emprunt et donc diminué le nombre de ventes immobilières ? C’est fort possible. On voit qu’il y a un mouvement de fond, tant sur l’immobilier locatif que sur l’immobilier de bureau. Et c’est à prendre en compte. Si vous souhaitez en bénéficier et investir plutôt dans la France des régions, il ne faut pas oublier la population à qui l’on s’adresse, ainsi que l’endroit géographique. Il faut dans l’idéal un endroit bien desservi, type gare TGV et avec de l’attrait (mer, montagne, campagne agréable sans être au fin fond du Larzac !). Niveau population, on s’adresse à des travailleurs, avec des salaires intéressants, qui cherchent de la place. Donc perso j'oublie les studios / T1 / T2. Pour les bureaux, c’est l’inverse. Ce qui est excentré a globalement souffert, donc cela pourrait être plus interessante de privilégier le top du top : la localisation, la facilité d’accès et le côté agréable.

Pour ma part, je dirais que non, le télétravail n’impactera pas ma vision ni mes prochains investissements. Car je sais que de nombreux influenceurs et YouTubers vantent les mérites de l’immeuble de rapport dans une obscure ville de région. Pour pas cher, vous avez plusieurs lots directs, trop bien ! Ou alors un bien dans une zone moins bien, en espérant que cela s’améliore. Non, je n’y crois pas. Une bonne affaire se fait à l’achat, pas à la vente. Personne ne sait quel temps il fera dans un mois, croyez-vous vraiment pouvoir prédire le futur de l’immobilier dans une zone précise dans 10 ou 15 ans ?

Alors je garde mon cap, qui est clair : investir dans des biens dont je suis certain de l’emplacement et de l’attrait : un balcon, une place de parking, une vue magnifique, etc. Je l’achète quand il est moche, je le retape (disons plutôt je le fais faire, ce n’est pas mon métier et je peux le déduire) et je peux le louer facilement, sans m’inquiéter de la vacance locative ou de l’hypothétique revente.

On ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, mais il me semble raisonnable de penser que le télétravail va continuer doucement à alimenter une petite exode de personnes et de familles qui travaillent, dans des coins sympas, nourrissant ainsi la demande dans les régions autour des grandes métropoles.